lundi 26 juillet 2010

Umbillical, une douceur d'afro-pop bahianais

Le cadeau exclusif du Dr. Funkathus pour les vacances, introuvable sur le www !!!

Umbillical pourrait être le disque de l'été ! L'album de vos vacances. Enfin, il aurait mérité d'être l'album de l'été 1999 ou 2000, à l'époque de sa sortie. Le genre de truc sympa, léger, "ensoleillé". Et c'est déjà pas mal ! La vocation d'un blog musical est de faire connaître et partager l'œuvre d'artistes parfois méconnus ou injustement ignorés du grand public. Donc : exceptionnellement, nous ne nous contenterons pas du texte, comme vous pourrez le constater en bas de page...

OK, OK, je vous vois venir : avec cette pochette, vous allez penser que j'exhume un vulgaire boys band brésilien. Ce serait mal connaître le Dr. Funkathus. Car voici réunis ici trois des plus grands percussionnistes bahianais issus de l'école du Candéal. Trois musiciens ayant grandi sous l'aile de Carlinhos Brown. Si vous avez déjà vu Brown en concert, vous aurez probablement remarqué Boghan Costa et Léo Bit-Bit sur scène à ses côtés. Quant à Gustavo di Dalva, il était sur le port de Mèze, pour accompagner Gilberto Gil lors de son passage au festival de Thau, hier soir le 24 juillet, comme il était déjà là, en 2005, lors de son concert au Zénith de Montpellier.

En 1999, trois grands noms du monde de la percussion bahianaise se réunissent et fondent un groupe. Soit Gustavo di Dalva + Boghan Costa + Léo Bit-Bit = Umbillical. Un truc calibré pour faire un carton. Une sorte de super-groupe, à moins que ce ne soit un "sous-groupe", au sens de groupe ethnique, comme s'amusait à le dire Caetano à propos de ses Doces Barbaros. Toujours est-il que, comme dans les Doces Barbaros, on retrouve des liens de famille entre les membres d'Umbillical : Boghan Costa et Léo Bit-Bit sont frères (j'avais cru un moment, en écoutant Fernando Trueba parler de son film Le Miracle du Candéal, que Léo était le frère de Carlinhos Brown. Trueba s'était visiblement trompé ).

Umbillical, une tentative réussie d'afro-pop typiquement bahianaise. C'est-à-dire à la fois ancré dans le funk à la sauce locale et doucement sucré. A la fois rythmé et mélodique, accessible, qui prend parfois les airs d'une musique axé de qualité... Bon, certains vont déceler une incompatibilité fondamentale entre les deux termes, "axé de qualité", un oxymore presque ! Disons simplement que cet album d'Umbillical pourrait être l'exception qui confirme la règle, tant le genre est effectivement marqué par les productions vulgaires enregistrées au kilomètre. Ce n'est pas faire injure aux Bahianais de le dire, nombre d'entre eux, pour peu qu'ils soient alternatifs ou que sais-je, détestent l'axé !

Certes, Umbillical joue une musique sans aspérités ni dissonances... Mais avec un groove infaillible. Leur côté pop s'exprime par ces voix plutôt douces, ces mélodies sucrées, pour utiliser la terminologie commune. Mais, attention, ici, doucement sucré ne signifie pas dégoulinant et mielleux. On reste dans de plus digestes proportions.

Umbillical joue du funk. A sa façon. Umbillical joue du funk. Tout simplement. Ecoutez "Astral". Ecoutez "Vim pra te buscar". Ecoutez "Com Ela", etc.

Mais quand j'enfourne la galette dans mon ordinateur afin de l'encoder en mp3, GraceNote CDDB, la base de données d'iTunes qui vous donne instantanément les titres des morceaux, le nom de l'album et des artistes, ce coup-ci reste muette. Umbillical ? Inconnu au bataillon. Sur internet non plus, quasiment rien. Incroyable !

Ce CD est un cadeau de mes amies soteropolitanas Goli et Nadja. Elles m'avaient dit que c'était un groupe qu'avait lancé Brown mais que ça avait été un fracasso. Malgré tous les espoirs qu'il portait. Il avait bien été signé chez Sony, sous le label Epic, mais voilà, l'album a fait flop.

Il date de 1999. Cette année-là, à Salvador, j'avais réalisé une interview de Carlinhos Brown. Le lendemain, il me fit visiter son quartier général du Candéal : les studios Ilha dos Sapos, le Candyall Guetto Square et l'école Pracatum. En croisant Claus Jake, un musicien du groupe Rumbaiana, Brown le prit à témoin pour m'expliquer le manque d'ambition de la plupart des productions bahianaises. On ne prend plus le temps de bien enregistrer, de bien jouer ! Quand une prise n'est pas bonne, trop souvent on s'en contente plutôt que de la refaire ! Quelques instants plus tôt, dans le studio, j'avais justement été témoin de son exigence en la matière. Deux percussionnistes s'escrimaient sur une piste du prochain album de Timbalada. Brown, jamais satisfait, leur fit recommencer un grand nombre de fois leur partie.

Brown avait soutenu Umbillical, même si son nom ne figure nulle part sur les crédits de l'album. Mais des moyens dignes de ce nom avaient été débloqués pour que l'enregistrement soit de qualité. Si vous regardez le générique, vous comprendrez vite. La plupart des titres sont produits par le regretté Ramiro Musotto, un beau gage de qualité. On retrouve même le "maestro" Jaques Morelenbaum au violoncelle et aux arrangements de cordes sur un titre ("Consulado", loin d'être le meilleur de l'abum, ceci dit). Peut-être leur avait-il fait un prix d'ami ? Sur l'autre morceau comportant des cordes ("Com Ela"), les arrangements classieux sont de Lincoln Olivetti, un nom qui ne passera pas inaperçu aux amateurs de groove brésilien. On trouve également sur l'album des orchestrations qui ne mégotent pas : cuivres en bonne section, percus à profusion, basse qui funke à donf', guitares qui savent hausser le ton à bon escient.

Le projet témoigne aussi de ce que les percussionnistes bahianais savent faire autre chose que chauffer les peaux de leurs tambours. Cette démonstration est une des grandes ambitions de Brown. C'est pour cette raison que, dans son école de musique de Pracatum, il insiste pour que les élèves musiciens se voient enseigner l'harmonie et la composition. Même s'ils sont trop vieux pour avoir fréquenter les bancs de Pracatum, les membres d'Umbillical donnent une illustration des vœux de Brown sur ce terrain. Le répertoire est ici le leur, Gustavo di Dalva et Boghan Costa se partageant les compositions. Les voix sont les leurs et, ma foi, très correctes dans ce registre doux et caressant.


Avec cette mise en avant du trio, c'est l'affirmation que les percussions sont bel et bien passées de la cuisine au salon. Une expression qui illustre la reconnaissance artistique qu'ont enfin obtenu les cultures noires brésiliennes et dont Carlinhos Brown demeure l'exemple le plus fort, tant sa musique témoigne d'une rupture esthétique.

Umbillical faisait partie de cette nouvelle scène qui, au début des années 2000, trouvait son inspiration dans la richesse rythmique de la musique bahianaise. Si Brown en est la figure tutélaire, d'autres artistes ont creusé cette voie féconde de l'afro-pop. Si EletroBenDodô, le premier album de Lucas Santtana, est le chef d'œuvre qui allait donner à cette approche son manifeste afro-tropicaliste du troisième Millénaire, avec les mêmes ingrédients et mêmes racines, une veine plus légère trouvait à s'exprimer à travers Davi Moraes ou... Umbillical. L'attachement de ces derniers aux racines est explicite par le nom même du groupe : le lien "maternel" à ces racines. Comme si Umbillical se refusait à couper le cordon. Comme si, par cet attachement, se justifiait la douceur festive de sa musique : maternelle.

Même si la musique d'Umbillical peut ressembler à celle de Brown, sur le versant pop-festif de son œuvre, l'ambition artistique d'Umbillical est forcément plus modeste. Mais nous offre quelque chose de léger et réjouissant pour (ou en attendant) les vacances. Le genre de musique qui vous donnera envie de danser ou qui rendra vos corvées ménagères plus supportables. Ecoutez Umbillical et voyez comme votre coup de balai se fait soudain plus léger. Ecoutez Umbillical où vous voulez mais si vous êtes assis, probablement que, très vite, de la tête vous dodelinerez, du pied vous battrez la mesure, et des épaules ondulerez en rythme. Et si vous êtes debout, contentez vous de suivre vos pieds et le mouvement de vos hanches. Attention toutefois, ces refrains, aussi inoffensifs qu'ils paraissent, risquent également de vous trotter dans la tête à l'improviste.

Malgré l'échec commercial d'Umbillical, nos compères, s'ils se sont faits connaître en accompagnant Carlinhos Brown, ont depuis acquis une notoriété internationale. Leur CV est long comme le bras. Outre leurs participations aux albums des plus grandes stars brésiliennes, on les retrouve à collaborer aussi bien avec le Cubain Roberto Fonseca qu'avec le Sénégalais Cheikh Lô, etc... Boghan est probablement le premier nom qui vient à l'esprit d'un producteur s'il entend donner une couleur de percus' brésiliennes à un album. Actuellement, Boghan et son frère Léo se sont lancés dans le projet Bitgaboot mais n'ont, semble-t-il, pas encore sorti d'album sous ce nom.

Il me semble juste de donner une nouvelle chance à Umbillical de rencontrer le public. Leur musique vous fera du bien. Alors, exceptionnellement, vu que cet album est passé complètement inaperçu et qu'il est véritablement introuvable, je m'autorise pour la première fois sur ce blog à le proposer en téléchargement.

Bien entendu, si messieurs Boghan, Léo ou Gustavo, ou leurs représentants, s'opposaient à ce que j'offre une chance à leur musique d'être enfin connue, je retirerais immédiatement le lien, question d'éthique, de déontologie, etc...

Umbillical est donc prescrit comme un élixir de choix par le bon Dr. Funkathus. Idéal pour faire la fête. Ou, plus modestement, pour passer un coup de balai dans la bonne humeur. Votre intérieur sera reconnaissant à Boghan, Léo et Gustavo.


1. Suando a camisa
2. Astral
3. Consulado
4. Vou Ai
5. Vim pra te buscar
6. Com Ela
7. Vem amar
8. Conheci uma garota
9. Sendo conquistado
10. No cantinho

PS : Bon, c'est vrai qu'elle est pas terrible la pochette.

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