vendredi 8 octobre 2010

Baloji, Kinshasa Succursale : funk à la mode kinoise

Baloji passe ce soir au Zénith de Montpellier dans le cadre des Nuits Zébrées de Nova. Côté concerts, c'est un des événements locaux en ce début d'automne, l'occasion de découvrir sur scène un artiste dont le nouvel album, Kinshasa Succursale, est un vrai coup de cœur. Un album mêlant introspection sans fard et regard lucide sur le Congo, l'année du cinquantenaire de son Indépendance.

S'il apparaît sur les photos en dandy plus classe encore qu'un sapeur, s'il s'autorise même une ambiguïté que n'oserait pas un rappeur, ce ne sont pas les apparences qui importent. Car les textes de Baloji ne sont pas seulement intelligents, ils brûlent d'une urgence, urgence du propos à laquelle vient se greffer celle des conditions d'enregistrements. Seulement six jours à Kinshasa pour mettre une quinzaine de titres dans la boîte. Car à l'origine du projet, il y avait la volonté de Baloji de donner une seconde vie à certains morceaux figurant sur son album précédent Hotel Impala, en les ré-enregistrant à Kinshasa. Ils en sortent littéralement transfigurés. "A Kinshasa, il y a quelque chose de brûlant, d'intense qui bouffe la ville, la folie créatrice, ça pue la sueur. Ca m'a tellement inspiré. On voulait juste rejouer les anciens morceaux, mais au final on a fait quelque chose de totalement différent" (Vibrations n° 127).

Quelques années plus tôt, le jeune rappeur belgo-congolais avait pourtant raccroché le micro. Avec une honnêteté qui n'est pas si courante, Balo du groupe Starflam, estimait n'avoir plus rien à dire. Il s'arrêta donc de rapper. Jusqu'à ce qu'un événement particulier lui redonne une source d'inspiration depuis intarissable.

Cet événement, il l'a raconté souvent. C'est, après vingt-cinq ans de silence, une lettre de sa mère restée au Congo. Car L'histoire personnelle de Baloji est marquée par un déracinement. A l'âge de trois ans, il quitte le Congo pour la Belgique avec son père. Du coup, pendant longtemps il s'est défini comme un "Blanc aux cheveux crépus", un "Afropéen". Cette lettre fit alors office de déclic. En réponse à cette mère lointaine, il  découvre en lui la matière pour enregistrer un album, Hotel Impala. Alors qu'il n'a pas mis les pieds au Congo depuis vingt ans, il se rend à Lubumbashi, pour retrouver sa mère. Il a alors la maladresse de lui offrir en guise de cadeau l'album que sa lettre lui inspira. Ce n'était pas le bon présent pour quelqu'un qui vit dans le dénuement et a d'autres jeunes enfants à nourrir. Un album ? Malaise, malentendu culturel. "Ce sont des cadeaux d’occidental, d’Européen. Ce n’est pas ça qu’elle attend. 


Qu’est-ce qu’elle attend ? 

Je suis son fils aîné, elle est veuve, j’ai cinq demi-frères et sœurs, et ils sont dans l’urgence… Ils attendent autre chose. Donc… C’était déplacé".

Ce fut une leçon et maintenant, après Hotel Impala, c'est donc l'épreuve du terrain. L'enregistrement sur place de Kinshasa Succursale. Véritable album de rencontres, sa force, outre la conviction du jeune homme, doit beaucoup à ces musiques incarnées. L'accompagnent l'Orchestre de la Katuba, la Chorale de la Grâce et la Fanfare de la Confiance. Ces apports transcendent littéralement sa musique. La comparaison s'impose puisque l'on retrouve de nombreux titres d'Hotel Impala. On voit la différence de traitement. L'intensité que leur confère le fait d'avoir été enregistré dans l'urgence avec les moyens du bord, en se pliant à la loi de l'Article 15.

"On a fait des rencontres incroyables, comme Rodrigue, un guitariste qui trouvait chaque riff en moins de cinq minutes, ou la fanfare de la Confiance, avec ses trombones fendus par le soleil, qui joue sur six titres. Konono N°1 a joué sur un titre, il y a eu trois coupures de courant pendant la prise, on n’a gardé que le likembe de Mingiedi. C’était compliqué, mais c’est du groove de la brousse, mon titre préféré. Kinshasa c’est une ville basée sur du temporaire. Dans Kinshasa Succursale, tout a été provisoire et tout le monde s’est adapté" (Mondomix).


Grand amateur de soul, il a voulu retrouver la transe des enregistrements "live", tous ensemble, sans overdubs, en une ou deux prises seulement, à l'ancienne. Et dans cette effervescence, il a bel et bien puisé une partie de son inspiration dans la soul. Ainsi, "Nazongi Nadko", ce titre étonnant avec les vétérans de Zaïko Langa langa et... Amp Fiddler, inspiré par Marvin Gaye. Baloji raconte qu'en effet, quand son père lui fit quitter le Congo, c'était pour l'emmener au pays de Marvin Gaye. "Quand j’ai eu ma mère en ligne, elle m’a dit 'je t’ai vu à la télé, sur MCM Afrique. On m’a dit que tu faisais de la musique, je t’ai tout de suite reconnu, j’ai toujours su que tu ferais ça : ton père m’avait dit qu’il t’emmenait au pays de Marvin Gaye'. Après m’avoir dit ça, j’hallucine un peu… C’est une métaphore, le sens de la formule comme on peut avoir dans le rap… Je suis arrivé en 1981 avec mon père, je vivais à Ostende, et effectivement Marvin Gaye vivait au même endroit. C’était un point de départ intéressant. Et ensuite j’ai découvert ce morceau de Marvin Gaye qui termine l’album, et putain c’est prophétique ! 'I’m going home to see my mother, I’m going home to see my dear old dad'… J’ai pris ce morceau comme s’il avait été fait pour moi".

Soul, funk bien sûr, intensément funk, plein de sa sueur, rumba, Baloji peut tout se permettre accompagné de ces formations bouillonnantes, porté par cette bande-son de feu. Cette musique incandescente couvre un flow peut-être un peu convenu, rattrapé par une impeccable diction. Indispensable pour saisir des textes riches de sens. Car c'est un regard d'une rare maturité que pose Baloji sur notre monde. Même sa reprise de "Indépendance Cha Cha", le "tube" pan-africain des Indépendances signé par Grand Kalle, est détournée pour faire sens, alors que la plupart de ses collègues n'en aurait tiré qu'un gimmick aguicheur, un refrain accrocheur. Lui l'utilise pour illustrer sa réflexion sur le contexte d'aujourd'hui, cinquante ans après cette indépendance du Congo.

"J'ai repris cette chanson fédératrice, symbole de la crédulité des prémices /
Pour que les démocraties progressent, il faut qu'elles apprennent de leurs erreurs de jeunesse"


Dans une interview à Mondomix, il explique son choix et les conditions dans lesquelles il a pu l'enregistrer : "la mélodie est incroyable et c’était un challenge intéressant. Je suis arrivé avec les textes écrits, il fallait juste qu’on trouve les interprètes… Mais ni l’arrangeur ni les musiciens ne voulaient mettre ces paroles sur ce titre parce que c’est un monument, qui fait partie du patrimoine musical. Je dis qu’après l’indépendance, le temps s’est arrêté au Congo. On a vraiment cette impression à Kin, parce qu’il y a très peu de constructions modernes. Tout date de l’époque coloniale : du chemin de fer aux institutions, c’est incroyable. Les musiciens étaient d’accord avec mon texte, mais ils avaient peur des représailles. Les services secrets, c’est certainement le truc qui marche le mieux au Congo. Ce sont les seuls à être « aware » comme on dit là bas. Finalement, à force de quatre heures de discussion, on les a convaincus de jouer".

Et en parlant de jouer, je suis impatient de le découvrir sur scène ce soir, en espérant que seront de la partie l'Orchestre de la Katuba, la Fanfare de la Confiance et la Chorale de la Grâce !

1 commentaire:

  1. Cher Dr. Funkathus , les 2 albums solo de BALOJI sont INCROYABLES. Le gamin est surdoué, d'une maturité inconcevable pour son âge. Textes riches, inspirés, musicaux.
    WOUAHHHOU !
    les historiens sont preneurs : http://lhistgeobox.blogspot.com/2009/01/136-baloji-tout-ceci-ne-vous-rendra-pas.html

    Sorcier Baloji, prénom prémonitoire...
    GRAND RESPECT
    Mario F.

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