mardi 22 février 2011

"War is coming", Chez Kader, rue de Lappe...


Est-ce une coïncidence, le groupe de funk californien War faisait la couv' du précédent numéro de Wax Poetics alors que le nouveau Funk*U lui consacre également sa Une en affichant le groupe en couverture ? J'ignore s'il y a une quelconque activité du groupe ces derniers temps pour bénéficier d'un tel regain d'intérêt médiatique mais cela produit chez moi un "effet madeleine" : je me souviens très précisément des conditions dans lesquelles j'ai découvert leur musique.

Il s'agissait du morceau "War is coming, War is coming", extrait de leur album Platinum Jazz et c'est assurément un de mes titres fétiches, parce qu'il a son histoire et est associé à un moment particulier, effervescent, festif...


Apôtre de la grande fraternité, contre les barrières et le racisme, War est un groupe originaire de L.A., Californie. Formé sous le nom de The Creators dès 1962, la formation prend le nom de War pour accompagner Eric Burdon à la fin des années soixante. Lequel les plantera lors d'une tournée européenne. Un mal pour un bien, dirons-nous, car les albums enregistrés sans leur leader éphémère ont su développer un style original et sont des éléments essentiels à toute bonne collection. Même si vous n'êtes guère familier du groupe et en ignorez jusqu'au nom, vous aurez peut-être entendu leur morceau "Why Can't we be friends ?", utilisé ces dernières années dans quelques spots de pub, même si je tais le nom de l'annonceur. Ces informations succinctes posées, ne m'en voulez pas de privilégier encore une fois l'angle personnel, voire celui du "vécu". La dimension subjective me semble inhérente au format, celui d'un blog, rien de plus qu'un journal de bord… Ce qui me gêne, serait plutôt de passer, avec ce genre d'anecdotes, pour un ancien combattant. Car j'ai beau parler de trucs du jour, genre Janelle, Gonjasufi ou Flying Lotus, quand je vous déballe ces souvenirs, ils ont déjà plus de vingt ans. Le temps qui passe est sans échappatoire, pétard quel coup de vieux !

A l'époque, fringant jeune homme d'une vingtaine d'années, casquette en velours de Gavroche ou calot fait-maison, pantalon de bleu à bretelles ou salopette, foulard et marcel sous la chemise à fleurs, je fréquentais très régulièrement le bar Bastide de la rue de Lappe, plus communément appelé "Chez Kader", du nom du patron. C'est mon ami Philippe Brosse qui m'avait fait découvrir l'endroit. Comme nous tous, je m'y enivrais au Côtes du Rhône *****, servi au ballon. Bonne piquette, du gros qui tâche, qui laissait la langue et les lèvres bleues au matin.

Ca se passait à la fin des années quatre-vingt, 1987, 1988, dans ces eaux-là. Chez Kader était encore un espace de résistance dans ce quartier de la Bastille déjà hyper-branché, où la rue de Lappe drainait continuellement son flot de touristes et recrachait sa viande saoûle. Chez Kader n'était pas un "bar à thème" mais encore un authentique troquet à l'ancienne. Petit, encaissé, étroit, guère plus large qu'un couloir le long du bar. Enfumé, pas redécoré depuis des lustres, "dans son jus" comme diraient les bobos. Toujours bondé et où, certains soirs, on reconnaissait Rachid Taha accoudé au bar sur son tabouret, dans le coin, en retrait comme absent.

Qui tenaient la baraque, il y avait Kader bien sûr, le patron, et son frère, et Max, rouquin barbu, tous trois kabyles. Trois types un peu taiseux qui s'y entendaient pour qu'une vraie ambiance imprègne les lieux. Je pense que le "Bastide" est devenu suffisamment "culte" pour qu'on retrouve sur la toile la photo de sa devanture, volets fermés, et celle de son patron. C'est déjà ça car, voyez-vous, je n'ai jamais pris la moindre photo à l'époque (il n'y avait pas encore de portable, encore moins de portable avec appareil-photo intégré !).

L'ambiance était en partie redevable à l'humeur du patron. Si le Kader était dans un bon jour, c'était la fête. Il nous la jouait Katerine vingt ans avant l'heure : "et je monte le son, et je baisse le son". Et les bons soirs, il faisait fi des voisins et balançait le son. Derrière le bar, à côté du perco, il y avait la collection de vinyles. De vieux vinyles ayant vécu. Les titres fétiches étaient souvent des classiques fédérateurs joués à un volume tout aussi fédérateur : Fela, Santana, James Brown, le "Whole Lotta Love" de Led Zepp' et, le fétiche parmi les fétiches, "N'sel Fik" de Chaba Fadela, qui voyait Kader monter sur le zinc pour danser sous les cris d'une clientèle bien éméchée et collée-serrée dans son antre. Certains soirs, il laissait quelques habitués dans la place après avoir baissé le rideau de fer. Fallait pas compter sur le patron pour se voir offrir des coups mais c'était le genre d'endroit où, passée une certaine heure, il y avait toujours quelqu'un pour vous payer un verre. Comment après ça voulez-vous trouver le moindre intérêt à la fréquentation de ces bars branchés, avec déco "à thème", mais où l'ambiance ne s'achète pas clés en main. La Bougnat Connection a fait des ravages.

Parmi ces quelques titres qui, chez Kader, méritaient de bénéficier de ces soudaines inflations de décibels : "War is coming" de... War. J'avais repéré la pochette derrière le bar et on devine ma joie quand j'ai trouvé Platinum Jazz aux Puces, neuf et pour une poignée de pain. Dès lors, pour ce seul titre "War is coming", le double-LP m'accompagnait à toutes les fêtes ou figurait sur une cassette minutée-compilée enregistrée à la maison. Et, ma foi, il était fort efficace et, le plus souvent, remplissait son rôle de floor filler à merveille...

Ecoutez cette intro style samba, avec cette cloche agogô, puis les percus qui entrent dans la danse, et cette basse ! Et les voix : "ouh ouh ouh... Ouh !"Même si ce n'était peut-être pas le cas, je n'en sais rien, c'est le genre de morceau dont on imagine bien le groupe faire son thème, celui qui ouvrira tous leurs concerts pour planter l'ambiance.


War ne joue pas forcément du funk stricto sensu ou, plutôt, l'agrémente d'une latin touch à base de nombreuses percussions. Leurs morceaux n'hésitent pas à s'étirer dans la longueur, comme il faut... La capacité à produire une montée est un critère essentiel d'appréciation de nombre de musiques électros mais, resté dehors la cathédrale, j'ai souvent du mal à m'y faire, les remarquant à peine, au contraire trouvant ça... monotone. Non, pour moi, une musique qui sait se tendre en une montée intense, un crescendo redoutable, c'est le funk ! Et War s'y entend pour réussir les siennes, portées par des rythmiques d'enfer.

Allez-y, l'essayer c'est l'adopter !

War, "War is coming... War is coming !", Platinum Jazz (1977) mp3 320kbps
Ce serait plus authentique si je l'avis rippé d'après mon vieux vinyl mais, désolé, ce n'est pas le cas...

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