mercredi 6 avril 2011

NTM : "Le Monde de Demain" ne nous appartient toujours pas (1991, 20 ans après)


Déjà vingt ans ! Réaliser que les premiers albums d'IAM et de NTM sont sortis il y a vingt ans nous fiche un sacré coup de vieux. Nous réalisions au début de l'année que 1991 avait été particulièrement riche, plusieurs groupes sortant un premier album qui ouvrait de nouvelles voies et serait considéré, rétrospectivement (et arbitrairement), comme initiateur d'un nouveau genre musical, Massive Attack et le trip hop, Galliano avec l'acid-jazz, pour ne citer que ces deux-là.


IAM et NTM sont sans conteste les pionniers les plus importants du rap français. Les membres des groupes marseillais et dionysien baignaient déjà tous depuis longtemps dans le hip hop quand ils ont sorti leur premier disque. En France, le hip hop est arrivé par le biais de la danse. La musique et le rap étaient alors complètement passés au second plan et n'avaient guère suscité de vocations. Rappelons-nous la première contribution sociologique sur cette culture en France, l'article de Christian Bachmann, "Junior s'entraîne très fort, ou le smurf comme mobilisation symbolique", paru en 1985 dans la revue Langage & Société (n°34), est une illustration de cet intérêt pour la danse plutôt que la musique et le rap. Passé l'intérêt médiatique, passé Sidney et son Achipé-Achopé, la jeunesse urbaine avait gardé le hip hop et continuait à pratiquer ses disciplines quand bien même plus personne d'autre ne s'y intéressait. Puis, le rap est passé au français et a abandonné l'anglais plus vite que les rockers du cru qui ont longtemps été limité dans leur expression au yaourt verbal. Une fois le français adopté, la seconde vague pouvait déferler.


Ce n'est pas faire injure à DJ S qui bossait les sons du groupe à ses débuts de dire que Didier Morville, aka Joey Starr, et Bruno Lopes, aka Kool Shen, sont le plus essentiel et complémentaire duo que le rap français ait jamais vu naître. Celui qui donne corps à NTM, le Suprême NTM, ou 93NTM, comme il s'appelait encore à l'époque. Alors que le flow d'Akhenaton et Shurik'n était encore trop martial et tout en raideur, Joey Starr et Kool Shen se complétaient à merveille, leurs voix tout en contraste avaient une fluidité qui manquaient aux gars d'IAM. Il fallait les voir sur scène, déchaînés, tout en muscles et en sueur. Joey Starr, l'aboyeur, le seul type de l'Hexagone capable de rivaliser avec un Busta Rhymes, Kool Shen, le stratège, dont les mots sont comme la balle qui ne quitte jamais le pied de Lionel Messi, Kool Shen qui jamais ne perd le fil de son propos et dont l'élocution est au service du texte et slalome autour du tempo.

Avant de sortir Authentik, son premier album, le Suprême NTM avait déjà participé à cet événement qu'était la première compilation de rap français, Rapattitude, avec leur morceau "Je Rap", déjà bien en place et nerveux mais se limitant à un simple exercice d'ego trip. Quelques singles sortirent en 1990 mais rien ne nous préparait à ce qui allait suivre, quand NTM balança son single terrible : "Le Monde de Demain".

"Le Monde de Demain" est un truc générationnel. Un putain de truc générationnel. Je ne vais pas m'éterniser mais il faut essayer d'imaginer l'impact de ce morceau à sa sortie. Quelque chose qui nous parlait et qui n'avait jamais été dit de cette façon, si abrupte et évidente.

"Je ne suis pas un leader Simplement le haut-parleur / D'une génération révoltée prête à tout ébranler". Comment oublier cette posture ? Cette façon de ne vouloir être que la caisse de résonance sans tomber dans la démagogie des slogans fumeux...

Authentik compte d'autres morceaux d'anthologie quoique rudimentaires au niveau du son : "Quelle Gratitude ?", "L'Argent pourrit les gens", "Le Pouvoir", "Noir et Blanc". Je n'ai pas écouté l'album depuis des lustres, étant en rade de tête de lecture, je ne suis pas près de ressortir le LP de son bac, mais je me souviens encore de quelques bribes de paroles, de mémoire. Des trucs du style :

"Je suis Blanc, il est Noir, la différence ne se voit que dans les yeux des bâtards"

"Quelle grattitude devrais-je avoir pour la France?
Moi, Joey Starr qu’on considère comme un barbare"

Si NTM mettait le rap français sur de bonnes voies, au même titre que IAM, Assassin ou MC Solaar, autres pionniers, il faut se souvenir, vingt ans après, des commentaires accompagnant la signature d'IAM et de NTM sur une major pour sortir leur premier album ! De la base du Mouv' remontait un sacré scepticisme, une défiance pour ne pas dire plus… Cette signature fut carrément vécue comme une trahison et s'accompagnait de soupçons : ils sont vendus, récupérés par le système. J'ai même entendu que ce n'était plus eux qui écrivaient leurs textes… Théorie du complot, sors de ce corps ! Mais, rétrospectivement, on se dit que la virulence du microcosme hip hop, sa base, n'aura pas eu raison de la carrière de NTM. Sa  légitimité et sa crédibilité n'ont finalement pas trop souffert de cette méfiance.

Il faut aussi se souvenir de cette émission où, en 1996, sur un plateau de télé, Kool Shen et Joey Starr étaient invités à débattre des problèmes de la banlieue avec Eric Raoult. Confrontation improbable certes, mais qui vira surréaliste quand le politique leur demanda s'ils reversaient une partie de leurs gains autour d'eux, à la banlieue. Le genre de question qu'on ne posera jamais à François Pinault ou Bernard Arnault. J'étais furieux d'entendre des propos pareils mais j'avais kiffé la réponse de Kool Shen qui, très calmement, lui avait rétorqué que oui, ils aidaient autour d'eux, montaient des projets mais que ce n'était pas leur rôle et qu'ils n'étaient en rien responsables des faillites et démissions de l'Etat. Et toc ! Pour enfoncer le clou, je laisse à Pierre Marcelle les mots forts qui exprimèrent alors au plus juste cet épisode navrant. "Et Raoult. Extraordinaire numéro de voyou de Raoult, qui n'en peut plus de croire qu'il suffit de parler guignol, de dire 'thune' et de dire 'nique' pour donner l'impression de savoir ce que c'est que le chômage, le racisme, la drogue et tout ce qui va avec. Raoult osant demander aux mômes de NTM d'investir leurs royalties dans les plans de sauvetage des banlieues qu'il n'a pas su faire agréer par Juppé, ce n'était pas seulement grotesque, c'était obscène. Tant de démagogie, venant de ce petit Pasqua, donna à vomir" (Libération, 22/11/1996).

Toujours interrogés sur cette émission et Raoult des années plus tard, nos NTM semblent blasés...
"JoeyStarr : Je trouve qu’il n’a pas tellement évolué. On le voit encore à la télé !
Kool Shen : A chaque fois qu’il ouvre sa gueule, c’est un scandale. Tu sens qu’il n’est pas très intelligent, il est très limité". Il faut dire que depuis le Raoult n'a jamais eu la décence de se la boucler.

"Le monde de demain quoiqu'il advienne nous appartient" !!! Comment oublier ce refrain ? Mais même cet élan sorti d'un bain de noirceur, ce seul rayon projeté sur l'avenir au milieu d'un présent décrit comme morose en 1991, aujourd'hui nous fait toujours défaut. Vingt ans après, on se dit hélas que le Monde ne nous appartient toujours pas !

Et si ce le Monde appartient toujours aux mêmes, plus grave encore, la France est malade de ses clivages organisés par un gouvernement aux abois, flattant la bassesse de nos compatriotes, n'ayant comme seule alternative au "diviser pour régner" que de fédérer contre quelque bouc-émissaire... Ecoutons NTM, écoutons d'autres rappeurs de cette génération (tout en ayant pris soin au préalable de rayer de la liste un certain Doc Gynéco en raison de ses récentes et douteuses accointances politiques), on constatera que leurs colères trouvent encore aujourd'hui une regrettable pertinence. Cette pertinence vingt ans après est regrettable, tous ces lyrics n'étaient pas seulement des instantanés mais la description fidèle d'une réalité trop pérenne. Car rien n'a changé aujourd'hui dans la société française de la stigmatisation, de la discrimination, des préjugés complaisamment entretenus. Mais qu'attendiez vous d'un type qui n'aurait jamais été élu sans les plus de soixante-cinq ans ?

Ayant réécouté "Le Monde de Demain" pour l'occasion, je suis surpris de constater qu'il ait finalement bien vieilli. J'appréhendais de tomber sur un truc obsolète, un son trop chétif avec un beat tout maigroulet, mais franchement ça cogne encore bien. Avec un sample de Marvin Gaye bien placé. Je n'ai plus vingt ans mais j'aime toujours la force brute des textes, intacte...


"Pur produit de cette infamie Appelée la banlieue de Paris
Depuis tout jeune je gravite avec le but unique
D'imposer ma présence Trop instruit pour travailler
Trop fier pour faire la charité Oui je préfère la facilité
Considérant que le boulot M'amènera plus vite au bout du rouleau
Alors réfléchissez: Combien sont dans mon cas
Aux abords de vos toits et si cela est comme ça
C'est que depuis trop longtemps
Des gens tournent le dos Aux problèmes cruciaux
Aux problèmes sociaux qui asphyxient la jeunesse
Qui résident aux abords au Sud, à l'Est, à l'Ouest, au Nord
Ne vous étonnez pas Si quotidiennement l'expansion de la violence est telle
Car certains se sentent seulement concernés
Lorsque leurs proches se font assassiner
Est-ce ceci la liberté-égalité-fraternité ?
J'en ai bien peur

Le monde de demain quoiqu'il advienne nous appartient
La puissance est dans nos mains alors écoute ce refrain

Quelle chance, quelle chance d'habiter la France
Dommage que tant de gens fassent preuve d'incompétence
Dans l'insouciance générale les fléaux s'installent - normal
Dans mon quartier la violence devient un acte trop banal
Alors va faire un tour dans les banlieues
Regarde ta jeunesse dans les yeux toi qui commande en haut lieu
Mon appel est sérieux non ne prend pas ça comme un jeu
Car les jeunes changent Voilà ce qui dérange
Plus question de rester passif en attendant que ça s'arrange
Je ne suis pas un leader Simplement le haut-parleur
D'une génération révoltée prête à tout ébranler
Même le système qui nous pousse à l'extrême
Mais NTM Suprême ne lâchera pas les rênes
Epaulé par toute la jeunesse défavorisée
Seule vérité engagée: Le droit à l'égalité
Le voilà de nouveau prêt à redéclencher
Une vulgaire guerre civile et non militaire
Y en a marre des promesses
on va tout foutre en l'air

Le monde de demain quoiqu'il advienne nous appartient
La puissance est dans nos mains alors écoute ce refrain

Je ne te demande pas de comprendre
Mais de résoudre les problèmes qui habitent la banlieue
Qui s'agite toujours plus vite sans limite
Admet qu'il y a un point critique à ne pas dépasser
En tant qu'informateur je me sens obligé de dévoiler la vérité
Car le silence ne sera plus jamais plus jamais toléré
Oh oui c'est triste à dire mais tu n'as pas compris
Pourquoi les jeunes de mon quartier vivent dans cet état d'esprit
La délinquance avance et tout ceci a un sens
Car la violence coule dans les veines de celui qui a la haine
OK je reprend les rênes pour faire évoluer ton esprit
Pri-Prisonnier d'un système où les règles ne sont pas les mêmes
Suivant ta classe
Yeah Suivant ton style
Oui Suivant ta face suivant ta race Le rouage est bien huilé
Le système bien ancré ok mais n'oublie jamais
que je suis armé de paroles pour m'imposer
M'opposer m'interposer
processus enclenché
Je balance ma vérité..."

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