dimanche 1 mai 2011

Laurent Blanc doit-il être licencié pour faute grave ?

"5. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, 
en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances"

"16. La France forme avec les peuples d'outre-mer 
une Union fondée sur l'égalité des droits et des devoirs, 
sans distinction de race ni de religion"
(Préambule de la Constitution de 1946)

Après la révélation par Médiapart, d'échanges évoquant de futures éventuelles politiques discriminatoires de détection des jeunes footballeurs, sur la base de quotas*, Laurent Blanc doit-il démissionner ? La question mérite d'être posée. Une démission n'engage que lui, en conclusion des échanges fructueux qu'il a dû avoir avec sa conscience ces derniers jours, et ne peut être que de son propre chef. A vrai dire, pour une affaire aussi grave, ne devrait-il pas être licencié pour faute grave ? Cela semble pourtant peu probable : la suspension de François Blaquart, le DTN, qui a déjà servi de fusible, devrait faire diversion et protéger le sélectionneur.


Ou comment de faux problèmes entraînent une vraie crise. Les deux sujets abordés lors de cette fameuse réunion du 8 novembre étaient la question des joueurs sélectionnés dans les équipes de jeunes françaises avant de rejoindre une autre sélection en A, et la détection des très jeunes joueurs, vers 12 ou 13 ans, afin que le physique ne soit plus le seul critère, l'exemple de la sélection espagnole et du Barça démontrant que la taille n'est pas un argument.

Comment des questions techniques peuvent-elles déboucher sur une réponse qui bafoue la constitution ? Parce que, comme le disait Lilian Thuram, "quand vous partez avec la mauvaise analyse, à la fin vous avez forcément les mauvaises propositions". Mais comment est-on parti d'une si mauvaise analyse ? Parce qu'il finit par y avoir une porosité des esprits aux efforts insistants du gouvernement pour faire des thèmes de l'identité nationale un enjeu central de notre société ? Car, après tout, le football ne fait que refléter l'état de nos mentalités. Une société française où les propos racistes sont désormais complètement décomplexés, où le président de la République joue une stratégie électorale d'un cynisme incroyable qui le pousse, comme on dit, "à ratisser sur les terres du Front National".

Je ne pense pas que Laurent Blanc soit raciste ni xénophobe. C'est son cri du cœur : "être soupçonné de racisme ou de xénophobie, moi qui suis contre toute forme de discrimination, je ne le supporte pas". Parenthèse : je ne pense pas non plus que Nicolas Sarkozy soit raciste et c'est bien pire encore !

Les bi-nationaux et les critères (physique vs. technique) de détection
Reprenons les deux sujets évoqués. En préambule, soulignons l'amalgame qui est fait par les participants à cette réunion de la DTN entre deux choses n'ayant rien à voir entre elles. C'est justement cet amalgame qui nous fait dire que c'est très grave. Car le seul lien entre les deux sujets, c'est les Noirs, pardon les "Blacks". D'un côté, certains d'entre eux risquent de rejoindre une sélection africaine après avoir joué dans les sélections françaises de jeunes. De l'autre, parce qu'ils sont costauds, baraqués, physiquement précoces, ils barrent des joueurs blancs qui seraient moins forts physiquement mais plus techniques.

Sur ce deuxième point, rien n'interdit de privilégier la technique et l'intelligence de jeu mais pourquoi devrait-on l'aborder à travers une perspective ethnique ? Demandez au Brésil s'il n'existe pas des joueurs noirs, petits, intelligents et techniques.

Quant au premier sujet, l'éventualité que des joueurs choisissent une sélection étrangère après avoir porté le maillot de l'équipe de France dans les sélections de jeunes, moins de 17, 19 ans ou Espoirs, veuillez bien commencer, s'il vous plaît, par me citer un seul joueur ayant choisi de jouer pour une autre sélection et avoir fait défaut à l'équipe de France ?

Laissez-moi rire si vous me donnez en exemple Jacques Faty : un ancien capitaine des Espoirs qui, à l'approche de la trentaine, déclare solennellement que le choix de son cœur est de jouer pour le Sénégal. On comprendra aisément sa déclaration : il n'allait pas dire qu'il rejoignait la sélection sénégalaise parce qu'il n'avait aucune chance d'être appelé par les Bleus. Car ce fameux "choix du cœur", tant redouté par notre comité de la DTN, est pour le footballeur, neuf fois sur dix, une figure imposée de la langue de bois.

Didier Drogba est hors-concours, son parcours est atypique et son éclosion trop tardive et soudaine pour avoir pu postuler à une sélection dans les équipes de jeunes. D'autres noms ? 

Bon prince, je vous en donne quand même deux. Marouane Chamakh ? Ce type est né dans le Lot-et-Garonne, la terre de mes ancêtres paternels, s'engage sur une liste du MODEM aux dernières élections municipales, c'est dire s'il est impliqué dans la vie de politique et sociale de sa ville, mais joue avec la sélection marocaine. En 2003, quand il est convoqué pour jouer l'Euro avec les Bleus de moins de 19 ans, il préfère, après mûre réflexion, rejoindre le Maroc qui le sélectionnait d'emblée avec les A. N'est-ce pas le choix libre et déterminé d'un jeune homme à la conscience civique au-dessus de la moyenne de ses collègues ?

Moussa Sow ? Un pur p'tit gars de banlieue qui est aujourd'hui le meilleur buteur de la Ligue 1. Il joue pour le Sénégal. Il avait pourtant été repéré par nos instances : en 2005, il est champion d'Europe des moins de 19 ans avec des types comme Gourcuff, Diaby ou Lloris. Depuis sa valeur avait tellement crevé les yeux que Rennes le laissa partir pour Lille sans la moindre indemnité. Je ne suis pas sûr qu'un quelconque représentant de nos instances ait même songé à le retenir !

Quand Karim Aït-Fana et Younès Belhanda, nos jeunes montpelliérains, choisissent de jouer pour le Maroc, cela ne leur empêchera pas de jouer encore pour leur club (que l'on espère de cœur). Et, malgré leur talent, font-ils vraiment défaut à l'équipe de France ?

Pour un footballeur, le choix du cœur n'est rien d'autre que celui des perspectives sportives (ou économiques). Car les meilleurs choisissent toujours de jouer en Bleu. Quoi de plus légitime que de permettre aux recalés de l'équipe de France de connaître une carrière internationale en jouant pour le pays dont sont originaires leurs parents ?

Le seul participant qui sorte épargné de cette affaire, c'est Francis Smerecki, sélectionneur des moins de 19 ans, qui, lors de cette fameuse réunion de la DTN du 8 novembre, opposa très vivement à Laurent Blanc, Eric Mombaerts et François Blaquart que l'introduction de quotas de "bi-nationaux" lors des détections de jeunes joueurs destinés à intégrer l'INF de Clairefontaine serait "discriminatoire".

Le vrai problème du football français n'est-il pas plutôt que les meilleurs joueurs de notre championnat s'exilent dans des clubs plus huppés, anglais ou espagnols, et affaiblissent nos clubs, incapables de remporter le moindre trophée européen ? Mais là encore, les vérités changent selon la saison. En 1998, on disait que c'est justement grâce à leur expérience dans les plus grands clubs d'Europe (Real Madrid, Juventus de Turin, Arsenal…) que les joueurs de l'équipe de France parvinrent à devenir champions du Monde.

De plus, dans une société sereine, on pourrait aussi se réjouir que nous parvenions à exporter des joueurs formés en France dans des sélections étrangères. A-t-on été jamais plus proche d'une équipe africaine que du Sénégal qui nous avait pourtant éliminé au premier tour du Mondial 2002 ? On s'enorgueillissait soudainement de ces joueurs évoluant dans nos championnats, notamment en deuxième division, et nos Sénégalais furent surnommés sur le champ "Sénégaulois" ! Ou lors du dernier mondial, après le fiasco de Knysna, n'éprouvait-on pas une petite fierté, certes déplacée, à voir flamber le jeune André Ayew avec le Ghana, lui ce pur produit du centre de formation de l'OM ?

Si vous n'êtes pas convaincus, je laisse la parole à Lilian Thuram, "la bi-nationalité, c'est un faux problème puisque les meilleurs joueurs seront toujours retenus par la France. C'est l'équipe de France qui est prioritaire. Benzema, Nasri, M'Vila jouent avec qui ? Avec l'équipe de France ! C'est un faux problème dès le départ. Et quand vous avez une mauvaise réflexion au départ, vous finissez par donner une mauvaise réponse. Il y a quelque chose de malsain. On parle quand même d'enfants de 12 ou 13 ans qui seraient jugés sur leur double nationalité."

Je m'épargnerai ce soir de regarder 100% Foot puisqu'un de ses chroniqueurs s'est exprimé sur le sujet, Vikash Dhorasoo. "Je suis pour donner aux gens la possibilité de choisir. Que ce soit un choix du cœur, ou un choix par défaut parce qu'ils n'ont pas été sélectionnés en équipe de France. Cela ne choque personne que des médecins ou des avocats formés en France aillent travailler ailleurs. Pourquoi est-ce un problème pour les footballeurs? Et puis on forme assez de joueurs en France pour pouvoir en laisser filer quelques-uns à l'étranger. Je trouve ça même plutôt valorisant. Je ne comprends même pas comment tout ça peut passer par la tête du sélectionneur et de la DTN". Moi non plus, je ne comprends même pas...


Le monde du football français est corporatiste. Tous ses collègues viennent afficher leur solidarité avec Laurent Blanc. Au lieu de réfléchir aux propos cités par Médiapart, on cherche la taupe. Pierre Ménès, si prompt à moquer ce travers chez certains Bleus lors de la dernière coupe du monde, est le premier à monter au créneau "quant à la pourriture qui a organisé la fuite, je vous parie qu'on va vite apprendre de qui il s'agit".

Il est trop commode de dire que Médiapart veut faire du buzz en déballant ces échanges quand on lit d'autres interventions de Laurent Blanc, notamment une interview accordée à L'Equipe, on s'étonne que personne, moi y compris, n'ait encore soulevé le malaise que pouvait provoquer le discours du sélectionneur sur certains points. Quelle idée d'aller distribuer les paroles de "La Marseillaise" aux joueurs ? Il a fallu que Michel Platini vienne rappeler à bon entendeur que lui même ne l'avait jamais chantée.

Après une Coupe du Monde catastrophique, on pensait que l'équipe de France remontait la pente, bien dirigée par Laurent Blanc, son nouveau sélectionneur, portée par son aura de "Président". Je suis persuadé qu'il est l'homme de la situation pour lui redonner une ambition sportive et le goût du jeu mais, patatras, voilà qu'une crise de valeurs plus grave encore que le fiasco sud-africain, survient.

Très chauvin en ce qui concerne les choses de l'équipe de France, même si contraint à pratiquer l'auto-dérision à fortes doses (si comme moi vous soutenez le PSG, cette pratique est devenue une seconde nature, je suis un rôdé expert en la matière), cette affaire me touche. Comment imaginer qu'une personne prête à mettre en place des mesures contraires à la constitution puisse s'en sortir comme si de rien n'était ?

Est-ce là une faute grave imputable à Laurent Blanc, un motif de licenciement ? Un des principes essentiels du sport est l'impartialité. On constatera amèrement qu'il existe bel et bien deux poids, deux mesures : inventer une faute grave dans un cas, Domenech qui n'aurait pas serré la main à Parreira, le sélectionneur sud-africain à l'issu du match, absoudre l'autre, encore auréolé de toutes les vertus car on sait d'avance que Laurent Blanc ne sera pas menacé.

Alors qu'on n'avait jamais décelé le moindre critère ethnique dans le choix des joueurs qu'il a jusqu'à présent sélectionnés : on pouvait comme d'habitude s'enorgueillir de notre belle diversité, on est désormais dans l'embarras.

Bien sûr, licencier Blanc reviendrait, sportivement parlant, à se tirer une balle dans le pied mais s'il subsistait une once de dignité dans le pays, ce serait pourtant la seule issue envisageable.

Hypothèse fictionnelle : si le choix d'une sélection doit être celui du cœur, on peut alors s'inquiéter. Car si les jeunes footballeurs étaient attentifs à l'état de la France, à la façon dont les politiques ont institutionnalisé les propos et les mesures racistes, la France dont le président déclare dans un discours officiel que l'homme africain n'est pas encore entré dans l'Histoire, alors oui, on pourrait craindre une vraie désaffection. Dans ce climat vicié, comment s'étonner que les "bi-nationaux" aillent jouer ailleurs ?

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* Quelques extraits des propos de Laurent Blanc :
"Ce qui se passe dans le football actuellement, ça me dérange beaucoup. A mon avis, il faut essayer de l'éradiquer. Et ça n'a aucune connotation raciste ou quoi que ce soit. Quand les gens portent les maillots de l'équipe nationale des 16 ans, 17 ans, 18 ans, 19 ans, 20 ans, Espoirs, et qu'après ils vont aller jouer dans des équipes nord-africaines ou africaines, ça me dérange énormément. Ça, il faut quand même le limiter. Je dis pas qu'on va l'éradiquer mais le limiter dans ces pôles-là..."

"On veut pas éliminer les étrangers, pas du tout, mais faire en sorte que les pôles Espoirs ou les pôles de la DTN testent sur des critères mieux définis pour pouvoir attirer d'autres personnes, parce que si on a toujours les mêmes critères, y aura toujours les mêmes personnes.

Et plus ça va, plus ça va être encore davantage. Parce que je suis sur les terrains tous les samedis, je vois quelques centres de formation: on a l'impression qu'on forme vraiment le même prototype de joueurs: grands, costauds, puissants. Grands, costauds, puissants. Grands, costauds, puissants. Grands, costauds, puissants. Qu'est-ce qu'il y a actuellement comme grands, costauds, puissants? Les blacks. Et c'est comme ça. C'est un fait actuel. Dieu sait que dans les centres de formation, dans les écoles de football, ben y en a beaucoup.

Je crois qu'il faut recentrer, surtout pour des garçons de 13-14 ans, 12-13 ans, avoir d'autres critères, modifiés avec notre propre culture. Je vais vous citer les Espagnols: ils n'ont pas ces problèmes-là. Ils ont des critères de jeu qui sont très précis, à 12-13 ans. Avec notre culture, notre histoire, etc. Les Espagnols, ils m'ont dit: 'Nous, on n'a pas de problèmes. Nous, des blacks, on n'en a pas' ".






PS : Médiapart n'a pas fait que lancer le pavé dans la mare, puis publier le verbatim de cette réunion de la DTN, il propose une couverture intelligente du sujet, invitant notamment l'historien Pap Ndiaye à s'exprimer : "La Façade lézardée du football français".



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