jeudi 2 juin 2011

Gil Scott-Heron is... new here


Gil Scott-Heron était cet albatros que l'état-civil a fait échassier. Sa longue silhouette semblait entravée dans la vraie vie. Il était "roi de l'azur" façon de dire qu'il était blues. Baudelaire avait fait de ce "vaste oiseau des mers" un double du poète. Poète, Gil Scott-Heron l'était assurément par son œuvre. Sa vie a aussi fait de lui une légende d'indispensable maudit, une icône romantique de la culture populaire américaine, cet euphémisme, selon Robert Farris Thompson, de la culture noire américaine.


Quand un artiste précieux nous quitte, on est assailli de ses dernières nouvelles mais on repense plus volontiers au moment où on le découvrait. Pour moi, c'est il y a une vingtaine d'années, en achetant cette compilation intitulée The Revolution Will Not Be Televised. Inoubliable. On y retrouvait des titres choisis sur Pieces of a Man (1971) et Free Will (1972). Ses deuxième et troisième albums qui offraient un aperçu de deux facettes du bonhomme. Le précurseur du rap qui, accompagné de seules percus, déroule ses brèves histoires pleines d'esprit et d'humour, comme "Sex Education : Ghetto Style" ou "The Get Out of The Ghetto Blues". Et le chanteur imprégné de jazz et de funk qui vous fend l'âme avec "Lady Day et John Coltrane" ou "Save the Children", encore capable de vous ficher la chair de poule après toutes ces années. De lui, Ron Carter qui l'avait accompagné sur ces albums, disait que s'il n'était pas un grand chanteur, il avait une voix à dire du Shakespeare.

J'ai eu la chance de le voir sur scène. Au New Morning, en 1997. Il appréciait visiblement beaucoup les lieux, cette ancienne supérette recyclée en salle de jazz. Un magnifique moment. Ce n'était pas seulement une légende fatiguée mais un musicien généreux qui donnait un concert. Pourtant il semblait marqué. La consommation addictive de certains produits laisse des traces. Traits émaciés, dentition crénelée... Rétrospectivement, le plus étonnant est quand on réalise qu'à ce concert de 1997 au New Morning, il n'avait que quarante-huit ans et déjà en paraissait tellement plus.

Alors que l'an dernier, il venait tout juste d'enregistrer un nouvel album après près de vingt de silence, son titre incongru prend rétrospectivement un air de circonstances : I'm New Here. Ce qu'il a pu dire en arrivant là-haut. Mais ce "new here", c'est également la force de son œuvre, la réécouter comme au premier jour, avec une émotion intacte, comme si on la découvrait à chaque fois.

A ceux qui légitimement veulent des détails plus précis, du vécu, plutôt que ces vagues impressions, l'article d'Alec Wilkinson pour The New Yorker, "New York is Killing Me : the Unlikely Survival of Gil Scott-Heron" est une lecture indispensable. Son auteur a fréquenté son appartement, devenant familier au point que Gil Scott-Heron, toujours son chalumeau à portée de la main, à la longue, ne prenne même plus la peine de se cacher pour fumer ses pipes de crack. Un bel article, très touchant, où Gil Scott-Heron répète fréquemment au journaliste : "I wish you knew me before I was like this".

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire